(fini) leina ; de la pluie sur les vitres

la pluie s'abat sur la ville ; tu détestes la pluie.
elle rend le temps lourd, il pèse sur tes épaules et la solitude t'enlace.
alors tu décides que le monde est seul lui aussi et qu'il faut y faire quelque chose, qu'il faut remédier aux malheurs du monde parce que personne ne peut venir soigner les tiens, de malheur.

on ne pleure pas non, parce qu'on est forte.
ou peut-être qu'on pleure un peu, quand on est seul.

c'est sûrement comme ça que tu as fini dans la boutique de leigh ; tu ne sais pas comment elle fait pour te supporter.
elle n'a pas de chance, c'est sur elle que c'est tombé aujourd'hui, pas sur quelqu'un d'autre. ça aurait pu, mais le sort en décidé autrement.
mais toi, t'es maladroite, tu sais pas faire grand chose de tes dix doigts -pour ne pas dire que tu ne sais rien faire.
tu jongles entre les pots, entre les fleurs, tu t'exclames que c'est beau ! que ça sent bon ! comme si tu n'y avais jamais mis les pieds.

l'interdiction vient trop tard, ton bras appuyé sur une étagère bancale la fait chavirer,
patatra,
à l'image de la journée,
tout est tombé.

tu te confonds en excuses, à quatre pattes par terre, tes genoux nus contre le sol, pour ramasser le peu de choses qui tenaient, dont une plante grasse, qui surement ne demandait pas plus d'attention que ça.
tu récupères entre tes doigts manucurés le pot brisé, un peu de terre, la plante.

« oh non, leigh... comment on va faire ? » demandes-tu d'une petite voix, les yeux brillants, l'air triste. « je l'ai pas tuée, hein ? » tu n'en es pas sûre, tu ne sais pas comment ça fonctionne les plantes.
tu ne sais pas grand chose de toute manière.
ou peut-être que si ; qu'elle est occupée, qu'elle a une vie, qu'elle a des choses à faire et toi, tu traînes dans ses pattes, comme toujours, au milieu de tout sans rien faire.

« on dirait un petit peu moi, cette plante... » et ça te fait rire doucement.
que c'est triste, tout autant que la pluie qui tombe.

ce n'est pas grave mais tout te paraissait si grave quand c'était de ta faute. tu ne sais faire que des bêtises, tu le sais, maman te le disait souvent. tu n'es pas très douée et si la peur que l'on te déteste t'anime, tu préfères ne pas y penser. ce serait bête, pour une simple plante, d'être détestée, non ? leigh n'est pas comme ça, tu le sais.
et pourtant, tu ne peux pas t'empêcher d'y penser.

mais ce n'est pas grave. ce n'est pas grave.
tu aurais presque envie de pleurer à voir cette pauvre plante sur le sol. mais ce n'est pas grave alors tu n'y prêtes plus vraiment attention, tu écoutes simplement la fleuriste te rassurer.
parfois, tu es comme un bébé. il faut prendre soin de toi, te cajoler, t'occuper. tu es désolée pour ceux qui ont à te supporter, vraiment.

et tu ne sais pas si tu dois prendre comme un compliment ce qu'elle te dit, oui, probablement. elle est bien trop gentille avec toi, tu ne mérites pas tout cela. elle en sait des choses, baby sun rose, c'est drôle, c'est tout ce que tu aimerais être. un joli surnom, tu y penseras pour une prochaine fois.
elle t'offre la fleur, et toi, t'as encore envie de pleurer. elle trouvera place à côté de ta théière en forme de chat, sur ton bureau, probablement.

tu prends alors dans tes bras la jeune femme, pour la serrer contre toi. déjà, non, tu ne pleures pas. tu es juste émotive. c'est les hormones, oui, voilà. les hormones... et ça te fait rire un petit peu. « merci beaucoup Leigh... » elle comprendra certainement. et tu n'as pas vraiment envie de la lâcher, en fait. alors t'as juste posé ton menton sur son épaule, alors qu'elle tient toujours le pot, alors que ce n'est pas trop pratique. « tu veux bien m'apprendre ? » que tu demandes alors. « à mettre les fleurs dans des pots ? et s'en occuper ? et tu as des choses à faire ? du travail ? » tu te décolles d'elle pour prendre ton nouvel adopté, un petit sourire aux lèvres alors que tu regardes les feuilles vertes.
hâte qu'elle fleurisse.

« je peux t'aider ! je te promets que je ferais plus de bêtise... Je suis désolée... »
mais qu'elle ne te laisse pas,
qu'elle ne t'abandonne pas.

leigh court à nouveau dans sa petite boutique pour assouvir tes caprices. il faut toujours que tu fasses la princesse, que tu déranges les autres. il faut toujours que tu les fasses courir pour toi, qu'ils se plient en quatre pour te faire plaisir. mais tu ne le réalises pas, tu ne le comprends pas -tu ne le vois pas.
faire une pause dans son travail, et toi leina, que fais-tu réellement ? là, à trainer les rues, le ciel pleure sur la terre et toi, toi, que fais-tu réellement ? sans avenir, sans passé, sans rien.
rien.
tu ne fais rien, tu n'es rien et si tu n'existais pas à travers le regard des autres, tu ne serais probablement plus là.

les gants entre tes doigts, tu regardes la fleuriste, incrédule. elle va donc réellement accéder à ta requête sans rien dire ? et tu regardes les pots sur le sol. tant de travail.
pourquoi n'es-tu pas capable de ce genre de choses, toi ? c'est quoi ton problème, leina ?
alors sans rechigner, sans te défiler, tu enfiles les gants. et tant pis si tu te casses un ongle à replanter un cactus, tant pis si tu as de la terre sur tes beaux vêtements en sauvant ces orchidées, tant pis oui, parce qu'on a rien sans rien, parce qu'il faut aussi que tu fasses des efforts, sinon à quoi bon ?

« on commence par lesquelles ? » que tu demandes, « j'aime bien les orchidées. elles sont colorées... » mais difficile à s'en occuper. tu le sais, tu en avais acheté deux à leigh une fois, et elles avaient fané si vite... tu es toujours triste d'y penser. « pourquoi les gens achètent tant de cactus ? » demandes-tu alors en prenant le pot de ce petit cactus décoratif entre les doigts. tu ne comprends pas l'attrait pour cette plante -peut-être est-ce parce qu'il ne meurt pas ? et alors, une plante qui meurt veut dire qu'elle n'est plus utile ? qu'on ne peut plus vouloir d'elle ?
tu as mal au coeur.

« si j'étais les gens, j'achèterai des fleurs les jours de pluie. c'est comme des soleil... »
peut-être est-ce pour ça que tu es ici aujourd'hui.

facile d'entretien. ne demandent pas beaucoup d'attention. esthétique.
là pour faire beau, quoi.
peut-être devrais-tu prendre des cactus, toi aussi. ça te ressemble, un peu. petit miroir naturel.
facile d'entretien, qui ne demande pas beaucoup d'attention, surtout là pour l'esthétique. mais qui pique. qui pique fort. qui fait mal. qui sait se défendre.
plus fort qu'on ne le croit, un cactus, tu supposes. tu aimes bien l'idée.
une autre plante à acheter, que tu mets dans le coin de ta tête. tu dois bien avoir un ou deux vases (super laids) qui traînent quelque part, tu en es certaine.

les fleurs, agréables...? tu te demandes. tes doigts gantés caressent le pétale de l'orchidée entre tes mains. celles que tu crachais faisaient mal, tout aussi belles qu'elles étaient, même tâchées du sang de tes poumons. elles n'étaient pas agréables, elles te rappelaient tant de choses.
mais celles de leigh le sont, rien qu'un peu, oui. agréable à voir. à sentir. peut-être ne détestes-tu pas les fleurs, au final.

« de vie ? quand elles ne font pas mourir, oui, sûrement... » mais toi, tu es morte à cause de ces fleurs, alors tu ne sais pas réellement quoi dire. peut-être que leigh n'a jamais vécu cela ? peut-être qu'elle s'en fiche, même ? après tout, elle a raison.
toi aussi, tu les tues, les gens. ceux qui sont amoureux de toi à travers un écran, ces fleurs qui sont sur ton poignet, de temps en temps, mais qui fanent tout aussi rapidement. peut-être que c'était passager, peut-être qu'ils sont décédés. qu'est-ce que tu en sais, au final ?
peut-être que vous êtes un peu pareil.

« mes fleurs préférées, ce sont les hortensias. » celles que tu crachais, ironie du sort, « tu sais, parce qu'elles ne sont jamais vraiment seules... toujours en massif... » et tu détestes être seule. « je sais pas. »

et tu rigoles. un peu. « de toute manière, des fleurs à l'appart, ça veut dire que charlie ou jupiter vont les balancer sur le sol sans faire gaffe.. sauf si je les garde dans ma chambre, mais bon. » c'est ça aussi, de vivre qu'avec des garçons. la délicatesse manque.

pleine d'histoires. oui, c'est vrai. un petit peu comme vous, non ? tu te demandes quelle histoire a leigh. tu la vois souvent, tu viens souvent l'embêter et pourtant, tu as l'impression de ne pas savoir grand chose d'elle. c'est aussi ça. mystérieuse. comme ses fleurs. tu l'aimes énormément, leigh, même si tu ne le dis pas, même si vous ne vous le montrez pas. ou d'une autre manière. de votre propre manière.

et tu te mets à rire à sa proposition. « t'en fais pas, moi, j'me laisse pas faire. » et tu montres un muscle inexistant en rigolant. « je les aurais avant qu'ils ne m'auront ! » enfin, quelque chose comme ça, et ça te fait rire.

« et toi, tu vis avec quelqu'un ? » que tu demandes alors, soudainement, « un homme ? une femme ? une personne ? » ça ne te regarde pas vraiment. « des animaux ? » toi, tu as comme trois gros chiens, au final, si tu réfléchis bien. mais la vie ce n'est pas vraiment ça non plus, être avec quelqu'un. ce n'est pas obligatoire. alors tu te demandes si elle souffre, elle aussi. des fleurs. des autres. ou peut-être fait-elle souffrir ? peut-être tues-t-elle ?
des meurtriers sans le savoir, des couteaux dans le coeur.

leigh te gâte aujourd'hui. elle te donne sans cesse des choses. tu vas finir par la ruiner, sans qu'elle ne s'en rende compte. c'est ce que tu fais souvent, ruiner les autres. contre ton gré ou de volonté, s'ils le méritent, si tu te fais juge de leur vie. tu n'as pas vraiment le droit, et pourtant, souvent, c'est toi qui abaisse la guillotine, c'est toi qui condamne, c'est toi qui tue.
tueuse.
si seulement leigh savait réellement qui était, peut-être qu'elle te ferait moins de cadeaux, peut-être même qu'elle te détesterait, peut-être qu'elle te dirait de ne plus jamais mettre les pieds dans sa boutique. laide à faire faner les fleurs, c'est ton intérieur qui empeste, fétide du coeur.
mais personne ne le sait, personne ne t'a jamais vraiment ouverte, personne n'a creusé assez profond, et c'est sous un tas d'artifice qui tu caches l'odeur putride de la rancune. celle qui te ronge de l'intérieur.

toi, tu ris un peu. légèrement. elle ne sait pas leigh. il faudrait qu'elle vienne voir, un jour, à quoi ça ressemble, ton zoo. parce que c'est un peu ça. parce que c'est la fête tous les jours, là-bas, c'est le carnaval, parce que vous êtes des clowns. « ce sont les fesses qu'ils vont se piquer. » fais-tu remarquer, et tu retires tes gants pour attraper le pauvre cactus. il n'aura probablement pas de chance dans votre demeure alors tu le garderas précieusement dans ta chambre, au bord d'une fenêtre, ou pas trop.
et tu lui parleras de tes maux, les soirs où tu ne peux pas dormir, les soirs où tu as l'impression que tes poumons te font mal, où la toux te prend, soudaine, une crise imaginaire.
tout ça est dans ta tête, leina.

et tu acquiesces. oui. c'est déjà beaucoup. « si jamais ça devient trop, tu sais, tu peux compter sur moi. » tu ne sais pas trop ce que tu lui proposes, une épaule pour la soutenir sûrement, autant qu'elle t'écoute pleurnicher sur les aléas de la vie. « si tu veux que je porte quelques pots... » ceux qui sont cassés, brisés, fragilisés, ceux qu'elle ne veut pas porter, qu'elle préfère confier.
la pluie cesse de tomber, le soleil pointe le bout de son nez. soudain, curieux, il découvrir aujourd'hui, un jour nouveau. il faut aller de l'avant, n'est-ce pas Leina ? il faut avancer malgré tout, ne jamais trop se laisser aller.

« je vais y aller. » oui, c'est le moment de t'échapper. partir avec la pluie. « merci pour tout, leigh. » tu la remercies réellement, chaudement, tu déposes un bisou d'enfant sur sa joue blanche et tu essuies la terre qu'elle a pu s'étaler sans faire exprès. et tu ramasses tes affaires, une à une, trop de choses. « la prochaine fois, tu viens voir comment va le cactus ! » as-tu lancé gaiement et te voilà partie, envolée.
fleur nouvelle, printanière.